A La France de 1800

Introduction

À la sortie de la Révolution française, une complète mutation s'amorce pour le pays. En effet, l'abolition du système féodal et la vente de biens nationaux ont permis aux paysans d'accéder à la terre. La majorité d'entre eux achète en collectif et pratique une agriculture vivrière. Une minorité, plus fortunée, monte des fermes individuelles et concentre les savoirs et les moyens pour améliorer la production agricole. A la sortie du siècle des lumières, ces dernières sont devenues de grandes fermes expérimentales relayées par les sociétés d'agriculture et qui publient dans les revues agricoles leurs résultats au fil des années.

Relation FranceAngleterre

En Angleterre, la révolution industrielle commence s 1 800, un demi-siècle avant la France. Première puissance coloniale, son économie dépend des matières premières importées qui sont transformées en produits manufacturés. Les capitaux issus de l'industrie sont réinvestis dans l'agriculture qui se mécanise rapidement. La modernisation agricole est portée par de grands noms tels que Patrick Shireff, botaniste, le colonel Hallett, Le Couteur, John Percival, professeur d'agriculture et enfin l'agronome anglais Evershed. Les relations d'outre-manche étant mauvaises depuis un siècle, Napoléon Ier instaure en 1 806 un Blocus continental. En entravant le commerce entre l'Angleterre et le reste de l'Europe, il a pour objectif sur le long terme de ruiner les anglo-saxons. Cette situation implique la fin des importations de sucre de canne en France. Pour pallier à ce manque, la culture de la betterave sucrière se généralise, particulièrement dans le Nord de la France. En 1 81 5, suite à la défaite de Waterloo et à l'exil de Napoléon, les relations entre les deux nations s'apaisent et les échanges reprennent. La France profite alors des avancées techniques, industrielles et agricoles de l'Angleterre. On importe entre autres des blés anglais et les techniques de meunerie.

L’impact de la industrielle d révolution ans les
campagnes
s la seconde moitié du XIXè siècle, les

infrastructures s'améliorent, les routes sont de plus en plus praticables, le chemin de fer passe de 3.600 km en 1 850 à 23.300 km en 1 870 facilitant ainsi le commerce de marchandises. Les industries du textile, du charbon et la sidérurgie se développent rapidement dans le Nord de la France. La diffusion du matériel agricole moderne se fait dans une période de raréfaction de la main d'oeuvre. Les ouvriers agricoles migrent en ville pour travailler dans les usines. Les industries (au prime abord anglaises) fournissent quant à elles du matériel destiné à améliorer les conditions de travail du paysan. Quelques pionniers français, proches du

milieu agricole, développent eux aussi des outils adaptés au travail des champs. En 1 837, Mathieu de Dombasle améliore la charrue de l'époque. La première moissonneuse, inventée par un américain arrive en France en 1851. Tirée par un cheval, elle met fin à la corvée du fauchage manuel et se répand très rapidement dans les fermes. M. Gérard crée en 1 866 la première batteuse mobile qui peut se déplacer dans plusieurs fermes. Les institutions françaises et régionales veulent généraliser les machines agricoles dans les campagnes.

«L'introduction d'un matériel perfectionné dans une ferme […] est véritablement une œuvre de progrès et d'humanité et c'est ce but que le Gouvernement de la République s'attache à poursuivre». Cette circulaire adressée aux préfets par le ministère de l'Agriculture en 1 876 résume bien l'esprit du moment : il est temps de faire profiter la paysannerie des avancées techniques considérables qui marquent ce siècle.

Le début du libéralisme économique

En 1 861 , Napoléon III signe des accords commerciaux avec l'Angleterre et adopte une législation favorisant le libre-échange avec les autres pays. L'objectif est d'inciter les paysans à améliorer leurs sols et leurs pratiques pour augmenter leurs rendements tout en leur assurant des débouchés dans les pays voisins: « On produira plus et on produira mieux» 1 . Rappelons que le XIXème siècle a essuyé dix périodes de disettes, ce qui explique l'importance donnée à l'amélioration des techniques de production. Ces accords permettent à la France de se développer plus rapidement, mais ils sont plus avantageux pour l'Angleterre d'un point de vue économique. En effet, ses industries écoulent leur matériel en France et le blé anglais inonde le marché européen, ce qui fait chuter son cours. En région cela se traduit par l'abandon de la culture de cette céréale au profit de celle de la betterave, plus rentable. En 1 884, voyant que les objectifs sont loin d'être atteint, l'État annule ces accords et réhabilite un protectionnisme national.

BLe NordPasdeCalais et son agriculture

Au début du XIXème siècle, la rotation principale dans la région comprend une céréale d’hiver, une céréale de printemps suivie d’une jachère. Cette dernière année de non culture est certes nécessaire pour l’équilibre du sol, mais difficile pour une population qui souffre régulièrement de la faim. Au cours de ce siècle, l'agriculture va évoluer considérablement. Le développement des transports et de l'industrie vont amener de grands bouleversements dans la structure régionale.

Les assolements

s 1 840, la pratique de la jachère se réduit pour passer dans le Pas-de-Calais de 93.000 ha en 1 840 à moins de 35.000 ha en 1 8921 . Ce changement est associé à l'adoption d'assolements quadriennaux. On trouve en tête d'assolement les plantes sarclées, puis la céréale de printemps, le trèfle ou la vesce et enfin le blé d'automne. En 1 845, la jachère a pratiquement disparu des cantons les plus riches de l'Artois et du Béthunois. Par contre, dans le Haut pays, le pays de Montreuil, le canton de Guînes, de St-Pol et de Boulogne, l'assolement triennal est encore très généralisé. Ces parties du Pas-de-Calais sont à l'époque difficiles d'accès. Le même constat s'observe dans les campagnes reculées du Nord.

Dans les régions urbanisées (Canton de Lille, Valenciennes), l'information est plus abondante, la concurrence plus forte. De plus, les capitaux s'y concentrent majoritairement, ce qui explique la diffusion rapide des techniques agricoles. Alors que dans les cantons moins accessibles (Montreuil, St Pol, etc) les paysans préfèrent garder leurs pratiques. A la levée du blocus en 1 81 5, la betterave garde son importance dans les champs. La pulpe résiduelle est un aliment complémentaire au bétail qui apporte la force utile au travail des champs et le fumier pour amender le sol. Cette culture trouve sa place dans les fermes, même si elle exige des terres fertiles. D'autres plantes sarclées se généralisent également. La pomme de terre, connue depuis la fin du XVIIIème trouve sa place dans les rotations dans les années 1 800. La chicorée devient une culture importante dans le Nord de la France pendant le Blocus continental, pour la production de chicorée à café

qui remplaçait le café. Ces changements de pratiques encore mal connus incitent les sociétés d'agriculture et les paysans à s'intéresser d'avantage à la gestion de leurs cultures. De nombreuses fermes expérimentales2 étudient le travail du sol, l'intérêt du chaulage, du marnage, les amendements calcaires et l'enfouissement d'engrais verts. De nouveaux types d'engrais sont découverts (guanos, phosphates fossiles) et l'usage des engrais produits organiques sur la ferme est optimisé. Cependant, les blés d'époque vont mal supporter ces apports d'azote et vont verser. Ces améliorations vont se répercuter sur le choix des semences.

La culture de céréales

Modernisation agricole et augmentation de la sole en blé

Les principales cultures de céréales dans la région sont le blé (appelé également froment) , l'avoine et l'orge (voir en Annexe1 la liste des variétés). D'autres céréales étaient également cultivées, comme le seigle, le méteil ou le sarrasin, mais en faible quantité avant d'être abandonnée vers 1 850.

Figure 1: Evolution des rendements en Blés dans le département du Nord

On sème à la volée jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les blés sont semés à l'automne, de début octobre dans l'Avesnois à fin novembre dans le Cambraisis.

La densité de semis est variable : de 90 à 250kg par hectare. Certains paysans qui cultivent aussi la betterave utilisent leur semoir pour le blé et sèment donc en ligne. Ceci permettait d'économiser un tiers de la semence et de garantir de meilleurs résultats. On trouve dans les manuels d'agriculture d'époque des conseils sur ces pratiques : « Les semis en ligne permettent de semer un tiers en moins qu'à la volée et donnent de meilleurs résultats, tout en préservant de la verse. Quand les tiges sont bien ensoleillées, elles sont plus solides et évitent la verse »19 . La moisson se fait généralement le 1 5 août, en gerbe, sur plusieurs jours. Un grand nombre de cultivateur n'attend pas que le blé soit complètement mûr. Les uns les coupent quand la paille est bien jaune. D'autres récoltent s que le grain « se laisse couper par l'ongle mais avec une certaine résistance »20

La culture de l'avoine s'est maintenue jusque la Seconde Guerre mondiale alors qu'aujourd'hui elle a pratiquement disparu du Nord-Pas-de-Calais. Cela correspond avec la fin de la traction animale : il n'y avait plus besoin d'avoine pour nourrir les chevaux. Le blé est resté depuis le début du XIXème la céréale principale. En 1 925, le département du Pas-de-Calais consacre 1 46.000 ha à la culture du blé sur ses 457.840 ha de terres labourables, soit 31.8%. A titre comparatif,

1 68.800 ha étaient consacrés au blé en 201 0, soit 36.5%. La culture du blé dans le Nord de la France prend vite de l'avance par rapport au reste du pays (3 à 1 4 quintaux supplémentaires). Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer, la population dense qui fournissait de la main d'œuvre mais exigeait de bons rendements pour se nourrir ou simplement le fait que cette région était très propice à la culture du blé. Au cours du XIXème siècle, on passe de 1 2 à 21 quintaux/ha : les rendements ont augmenté de 75% en un siècle. s 1 830, le Nord-Pas-de-Calais est l'une des régions les plus productrices en blé, ce qui explique l'engouement que cette céréale a suscité au sein des sociétés d'agricultures, des semenciers et même des producteurs car elle représente encore aujourd'hui un marché important. En 201 3, le Nord-Pas-de-Calais est la 5ème région productrice de blé tendre en France.

L'abandon du méteil

D'autres céréales étaient produites, en plus petite quantité. Le méteil était assez répandu au début du siècle. On le cultivait sur les terres moyennes, qui n'étaient pas assez bonnes pour le blé mais qui restaient trop riches pour n'y mettre que du seigle. Ce mélange blé/seigle se récolte plus t que le blé, il libère le sol rapidement et donne au début du XIXème de meilleurs rendements. Mais dans la seconde moitié du XIXème, quand les rendements en blé se sont améliorés, la culture du méteil a progressivement diminué sur l'ensemble du pays. Le blé le remplace également dans les usages. Le pain de méteil laisse progressivement la place au pain blanc dans l'alimentation, pour pratiquement disparaître au début du XXème siècle. En 1 852, on ne cultive du méteil qu'en faible quantité. Le seigle est maintenu malgré tout en culture pour sa paille qui sert de litière, de fourrage et lors de la confection des chaises, chapeaux et des toits de chaume. La paille de céréales est généralement utilisée pour le fourrage des moutons, des chevaux, des bœufs et vaches. Elle est parfois non battue et utilisée en litière des chevaux de luxe.

La découverte des engrais chimiques

L'arrivée des engrais chimiques ne fait pas l'unanimité au sein du monde agricole. Le manque de recul et la falsification des produits proposés incite plutôt la méfiance de la part de la profession. s 1851, la société de Boulogne expérimente des engrais de l'industrie et atteste dans les débuts que ces produits ne donnent pas les résultats promis. Jusqu'à la fin du XIXème, des expériences et des publications scientifiques permettent d'améliorer les connaissances sur les engrais chimiques Au début du XXème siècle, ces produits mieux connus sont commercialisés et généralisés dans les fermes3 . Ces engrais, très enrichissant pour les plantes cultivées comme pour les adventices, vont eux aussi changer l'image de l'agriculture. Le XXème siècle sera le témoin d'une nouvelle évolution agricole.

Conclusion

Même s'il existe des inégalités au sein du territoire, les avancées agricoles se propagent en région. Au début des années 1 900, le matériel des champs, les assolements et les plantes cultivées ne sont plus les mêmes qu'au début du siècle précédent. En l'espace d'un siècle, la région change de type de culture et produit la matière première pour l'industrie du sucre et de la chicorée à café. La région devient un bassin de production agricole. Le Nord-Pas-de-Calais a pris une avance considérable en terme de productivité et de modernisation de son agriculture par rapport au reste de la France grâce tout d'abord à sa proximité avec l'Angleterre, et ensuite grâce à l'optimisation précoce des engrais organiques. Le blé déjà très généralisé, maintient sa place dans les cultures et dépasse les moyennes nationales en rendement.

La dominance du blé permet de comprendre son importance dans l’économie régionale et l’enjeu qui existait autour de la sélection et de la création variétale.

C Quel pain mangeaiton à

l'époque ?

Les céréales utilisées

Jusque 1 887, la classe moyenne française mangeait un pain issu de farine de méteil : un tiers de froment pour deux tiers de seigle. Peu de familles s'accordaient le luxe de consommer du pain blanc. Le pauvre se contentait de pain de seigle ou d'orge.

Une évolution du type de farine, pain bis, pain blanc ?

Le terme pain blanc désignait à l'époque un pain conçu à base de farine de blé exclusivement et avec une teneur en son la plus faible possible. Ce pain est reconnu comme plus léger, plus nourrissant et se digérant mieux. On différenciait également un troisième type de pain : le pain bis avec une farine contenant beaucoup plus de son. Plusieurs expériences avaient été réalisées s le milieu du XIXème, où des populations de travailleurs étaient nourries périodiquement avec du pain bis puis du pain blanc. Le pain bis induisait une fatigue et une augmentation du nombre de repas pris (de 3 ordinairement à 5). Ce pain était reconnu pour être lourd car riche en eau, mais pauvre en calories.

Le ferment

Traditionnellement, on fait du pain au levain naturel, mais au début du XXème siècle, les pains de levure se démocratisent car ils permettent un gain de temps et une meilleure régularité dans les produits. Une référence de l'époque sur les techniques de panification au levain reste Antoine Augustin Parmentier par son Traité Complet sur la fabrication et le commerce du Pain (1 778). Les méthodes de panification vont évoluer et les exigences sur les variétés de blés avec.

La place du pain dans la société française

Depuis l'Ancien Régime, la question du prix du pain reste un débat courant dans les institutions françaises. Les commissions régionales, le ministère de l'agriculture, le sénat, les professeurs de renoms se sont longtemps rassemblés autour des thématiques de fraudes de grains, de qualité de farine et de pain, de prix du pain. Pour une denrée qui représente l’essentiel de l’alimentation du pays, l’enjeu est de taille. s le XVIIIème, la démographie française augmente en continu. Pour les différents gouvernements qui se succèdent, l'un des premiers problèmes à résoudre est d'assurer suffisamment de vivres pour tout le monde et donc de légiférer la production de pain. Napoléon III signe un décret en 1 853 pour assurer aux soldats français un pain blanc plus nutritif. Il impose un taux de blutage à 20% contre 1 0 sous la Restauration, et 1 5% sous Louis-Philippe. Cette décision gonfla les dépenses de guerre, ce qui ne plut pas à l'administration française. Celle-ci proposa une solution moins coûteuse et dite équivalente, en mélangeant du blé dur au blé de pays. L'extraction de ce mélange se faisait à 1 2%.4 On retrouvait plus de son qu'auparavant. La farine donnait donc un pain qui « ne trempait pas » : il était gorgé d'eau, et n'était pas plus nourrissant. Les boulangers, les soldats et la population s'en rendirent vite compte et l'extraction des farines se refit à un taux de blutage plus élevé.

Cette anecdote illustre bien l'importance du pain dans la vie quotidienne. Malgré les avancées techniques, les recherches nutritionnelles et la réglementation imposée, l'avis de la population sur la qualité de son pain reste déterminant.

Une alimentation qui se diversifie

En 1 900, on mangeait encore 900g par personne5 . Cependant, au fil des années, la consommation de pain diminua. En 1 938, elle chute à 325g par personne dans le Nord Pas de Calais.

« A l'époque, la thèse soutenue est la suivante : les blés à grand rendement, cultivés à grand renfort d'engrais dans les terres fertiles, ne peuvent pas donner de bon pain. La qualité ne va pas de pair avec la quantité. »6 . Cette baisse de consommation peut s'expliquer par la révolution agricole qui eut pour conséquence une baisse du prix des autres produits (pommes de terre, ...). Les denrées étaient plus accessibles aux français qui ont simplement diversifié leur alimentation.

La meunerie

Amélioration des techniques d'extraction de la farine

s le début du XIXème siècle la meunerie s'améliore en France. On importe des moulins à l'anglaise qui optimisent mieux l'énergie, une seule roue hydraulique suffit pour entraîner plusieurs meules de pierre, grâce à un assemblage de charpente et d'engrenages en fonte. Dans le Nord-Pas-De-Calais, la plus importante meunerie se trouve à Bouchain chez M. Risbourg7 . Créée en 1 836, elle a 4 moulins à eau pour 25 paires de meules et fabrique 1 00.000hL de farine à l'année, ce qui représente environ 75t de farine. Il importe s 1 847 des blés de Pologne, réputés bons en meunerie, ainsi que des blés américains, qui se trouvent sur le marché en grande quantité et peu chers.

Beaucoup des grandes meuneries de l'époque se trouvaient à proximité des canaux. Le ravitaillement en blés (locaux ou importés) se faisait par voies navigables qui étaient largement développées. En 1 850, 1 0 500 km de canaux sillonnent la France. La meunerie commence à se moderniser avec l’apparition des cylindres métalliques dans la seconde moitié du siècle. Cette invention venue d'Autriche-Hongrie est présentée à l’Exposition universelle de 1 878 à Paris. Son implantation se généralise au début du XXème siècle. Les moulins Waast, installés dans la Pévèle depuis 1 896, installent des cylindres en 1 906. Cette nouvelle technologie permet des débits plus rapides et facilite la séparation de la farine et du son8. C'est le début de l'industrialisation, les meuniers deviennent des minotiers c'est à dire des gérants, propriétaires de plusieurs moulins. Cependant, en 1 91 8, on trouve encore dans les campagnes 1 1 35 moulins dans le département du Nord, les trois-quarts étant des moulins à vent principalement situés aux environs de Lille, Douai, Hazebrouck, Dunkerque et Douai. L'autre quart représente les moulins à eau qui sont situés principalement dans l'Avesnois. En 1 934, dans le département du Nord, 230 moulins étaient encore en activité : 1 24 équipés de cylindres et 1 06 munis de meules de pierre, dont 70 moulins à eau ou à vent.9 La quantité globale de blés écrasés est de l'ordre de 5,5 millions de quintaux, dont 5,25 millions issus des minoteries à cylindre. Déjà pendant l'entre deux guerres, même s'ils restaient en activité, les moulins à meules de pierre, ne représentent plus qu'une faible partie de l'activité meunière. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, ces moulins de village travaillent encore à façon pour les familles. En 201 4, on trouve 7 minoteries dans le Nord et 1 2 dans le Pas-de-Calais, qui produisent aujourd'hui jusque 500t de farine par jour. Ces minoteries n'approvisionnent plus uniquement la région mais vendent également en France ou dans d'autres pays.

Apparition de normes sur la qualité des farines

La chimie s'intéresse également au pain. Le gluten est défini par un médecin italien en 1 742, comme une substance azotée et visqueuse dans les céréales. En 1 822, pour connaître la qualité de la farine, Mr Vauquelin, pharmacien, avait mis en place une technique permettant d'extraire les proportions en eau, gluten, amidon, glucose, dextrine et en son dans le grain. Cette analyse chimique complétait les tests de panification faits par les boulangers. D'autres scientifiques s'intéressent à la composition chimique de la farine et tentent d'analyser les réactions de chaque molécule.10 En 1 879, il était déjà reconnu que la qualité du gluten, c'est-à-dire son élasticité et son extensibilité, importait plus que la quantité. Avec l'industrialisation de la meunerie, les volumes de farine produits sont importants, les récoltes de blés sont mélangées, les boulangers achètent leur farine au jour le jour, sans avoir de regard au préalable sur la qualité11 . Auparavant les cercles commerciaux étaient plus courts et les paysans côtoyaient les meuniers et les boulangers. La qualité du produit était identifiée par le producteur et le client. Pour pallier à cette rupture de la chaîne de confiance, des indices de qualité sont mis en place. Ils sont au départ basés sur les proportions puis sur la qualité du gluten. Le premier outil de mesure de pâte est l'extensimètre de Chopin en 1 920 avec les indicateurs P : la ténacité de la pâte, L : son extensibilité et W : la force boulangère. Le W traduit le travail de déformation de la pâte : plus il augmente et moins la pâte se déforme. S'en suivra l'indice de Pelshenke en 1 934, qui mesure la qualité des glutens humides et l'alvéographe de Chopin qui mesure plus précisément la résistance élastique de la pâte. Actuellement, des analyses modernes telles que l'amylogramme de Brabender, l'indice de Zélény, l'indice de chute de Hagberg donnent une description bien plus poussée sur la qualité des farines. Il est donc difficile de comparer les variétés de blés actuelles et celles du siècle dernier en panification avec les seules données bibliographiques.

Le tableau suivant met en avant l'augmentation continue du W dans les farines. Actuellement, les blés panifiables ont un W doublement plus élevé qu'un siècle auparavant (voir figure 2). Même si aujourd'hui un blé doit avoir un W supérieur à 1 30 pour être meunier, on sait qu'il est possible de faire du pain avec un W de 80, avec les pratiques boulangères adaptées.

Figure 2: Evolution du critère de qualité sur la force boulangère de 1920 à 2013

A/ Blé de pays

Le blé aurait migré du croissant fertile jusqu'en méditerranée en 6.000 ans avant J.-C. et serait remonté en Gaule vers 2.000 ans avant J.-C. Depuis, il s'est répandu dans tout le Nord de l'Europe, sous des climats et dans des sols très variés. Des milliers d'années plus tard, on retrouve des types de blé différents : des blés de pays, dont les premières traces écrites datent du XVIIIème siècle.

Un blé de pays correspond à un groupement de blés qui ont des caractères communs (par exemple la couleur, la hauteur de paille, la précocité) mais où il existe une grande variabilité génétique entre les épis. Cette grande diversité génétique permettait de pallier aux aléas climatiques et agronomiques au long de la culture. En Europe, les pays producteurs de blés possédaient leurs propres blés de pays (Annexe1).

En France, il existait un grand nombre de blés de pays répandus chacun sur une petite aire géographique. Ils étaient tous adaptés aux conditions pédo-climatiques de leurs bassins de culture. Une grande partie de ces blés n'était pas nommée mais certains sont devenus plus

populaires. Dans le Nord de France on trouvait le Blanc de Flandres et le Roseau de Bergues, en région parisienne le blé de Crépi, à l'Est le Rouge d'Alsace et le Mouton à épi rouge, en Champagne-Ardennes, on trouvait le Champagne barbu, en Normandie le Chicot blanc, en Beauce, le Perle du Nuisement, etc.

Une fiche descriptive a été réalisée pour chacun de ces blés en

Annexe 3.

Caractéristiques des blés du Nord

Ces blés ont généralement persisté malgré l'arrivée des blés étrangers ou des variétés de sélectionneurs car elles étaient très populaires et adaptées aux conditions du milieu. Dans la région, hormis les deux blés de pays connus, d'autres blés étaient nommés de façon imprécise (froment barbu, blé d'automne, etc) dans des journaux agricoles locaux au milieu du XIXème. Généralement, ces populations étaient issues d'une ferme qui la diffusait chez les paysans alentours sans qu'elles ne soient réellement reconnues. Le blé Blanc de Flandres est le plus connu de la région. La plus ancienne trace écrite date de 1 71 6, par Liger « Les flamands ont aussi un bled blanc qui est un très bon froment : mais dans les Provinces en deçà, il dégénère au bout de 2 années et il faut le renouveler quand il a porté deux fois »16 . Son grain était encore

très recherché par la meunerie en 1 93017 . Les blés de pays du Nord-Pas-de-Calais sont rustiques, ils doivent supporter des hivers parfois très vigoureux. La majorité des terres sont très fertiles, les blés doivent supporter un sol riche et produire des pailles fortes avec si possible un bon tallage.

Méthodes de sélection et multiplication

La multiplication se faisait par sélection massale : on choisit les plantes qui semblent les plus intéressantes dans une population (meilleurs épis, etc.), puis on utilise leurs graines comme semence pour la culture suivante. La limite de cette méthode est qu'on ne peut pas fixer un caractère s'il n'est pas visible à l’œil nu. Les plantes sélectionnées présentent une certaine hétérogénéité: elles ne sont ni strictement identiques à celles de la génération précédente, ni strictement identiques entre elles.

La multiplication au sein de la ferme semblait déjà en 1 841 réservée à une minorité de

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paysans. « Le petit nombre de ceux qui prennent leurs blés de semences dans l'exploitation même attendent que sa maturité soit complète avant d'y mettre les ouvriers ». On conseille aux agriculteurs de semer le blé de la récolte passée au trieur pour choisir de gros grains qui seront conservés un an ou deux avant d'être semés. Dans le département du Nord, il existe plusieurs bassins de multiplication2 : «Dans les arrondissements de Dunkerque et d'Hazebrouck, le blé de semence provient des terres clitreuses (argileuses) du pays au bois, de Bambecque, de Rubrouck, de St-Omer, de Cassel et de Bailleul. Dans l'arrondissement de Lille, les cultivateurs le font venir d'Armentières et des terres fortes de Merville et de St-Venant. A Arleux, on préfère celui d'Orchies à tout autre. Valenciennes, Cambrai, Avesnes et Maubeuge tirent leurs blés de semence d'Armentières. » A la fin du XIXème siècle, des paysans-semenciers se spécialisent dans la production de semences. La révolution agricole permet de diversifier les cultures tout au long de l'année.

Les superficies cultivées sont plus grandes et les paysans ne produisent plus suffisamment de semences pour l'ensemble des cultivateurs.

Louis de Vilmorin est l'un de ces agriculteurs qui se spécialise vers 1 840 dans la multiplication de semence et devient le premier semencier à sélectionner des variétés par la suite.

B/ Blé anglais

Un travail de sélection précoce

Les agriculteurs et agronomes anglais pratiquent s 1 800 une sélection à base de quelques épis qu'ils sélectionnent dans les champs, sans réaliser de croisement. Ces épis sont multipliés sur plusieurs années. Ils constituent les premières lignées pures, c'est-à-dire des blés à caractère et à morphologie communes. L'un des premiers fut le Shireff Squarehead, sélectionné en Ecosse par le botaniste Mr. Shireff.

On les retrouve dans le Nord de la France vers 1 840. Ces variétés sont intéressantes car elles font de meilleurs rendements que les blés de pays. En 1 865, les blés anglais faisaient 28 à 30 hL/ha alors que les blés de pays français n'en faisaient que 1 5. Par contre, leur qualité boulangère est moins bonne. Bien qu'ils soient panifiables, il valait mieux les mélanger au blé de pays pour que les pains lèvent.

De plus, ces blés sont hauts sur paille. Dans les terres riches du Nord, ils ont tendance à verser. Ils sont également tardifs. Au moment de la moisson, il est parfois difficile de les récolter dans de bonnes conditions et d'avoir un grain de qualité. Certains paysans-semenciers français multiplient ces blés sur leurs terres et sélectionnent des descendants plus adaptés aux terroirs et à la boulange.21

Si les données bibliographiques confirment ces échanges d'outre-manche, on a très peu d'informations sur des blés de Prusse. Est-ce parce que leur génétique n'était pas adaptée au Nord ? Est-ce simplement parce que le contexte politique de l'époque n'incitait pas le commerce entre les deux pays ? Nous ne traitons pas ici cette question, mais il est important de noter que l'agronomie n'est pas le seul facteur influençant les choix variétaux pour les cultivateurs. On peut supposer que la concentration des savoirs chez quelques semenciers, membres des hautes sociétés de l'agriculture engendre des effets de modes qui aient pu avoir une influence importante sur la sélection.

Descriptions de variétés

Les blés anglais cultivés dans le Nord de la France sont les suivants : Browick Chiddam d'automne à épi blanc Chiddam d'automne à épi rouge Goldendrop Hallett Prince Albert Shireff Squarehead Stand up Teverson

Figure 4: Origine géographioque des variétés de blés anglais cultivées en NordpasdeCalais de 1800 à 1926

Evolution des rendements par pays de 1865 à 2003, on constate que les blés Anglais ont un rendement toujours supérieur d'environ 10 qtx aux moyennes nationales Françaises. La réputation de ces blés étant bien connues dans les milieux des sélectionneurs, elle influença la choix des géniteurs pour les croisements réalisés par les maisons de semences.

Une fiche descriptive pour chacune d'elles se trouve en Annexe 4.

C/ Blés aquitains

Les blés aquitains sont les blés venant d'Ukraine « le grenier à blé de l'Europe ». Ils seraient d'abord arrivés dans le Sud de la France. Ils se caractérisent par leur précocité, ce qui leur permet d'éviter l'échaudage dans les régions chaudes, par leurs bons rendements et sont également réputés pour leur grande qualité boulangère. Cependant, leur paille peu résistante verse facilement. Peu de ces blés sont arrivés en France : en 1 823, le blé de Noé est renommé dans la France entière, et le blé d'Odessa sans barbes vers 1 835, également connu sous le nom de blé meunier d'Apt. Cela peut s'expliquer par la longue distance qui sépare ces deux pays, les moyens de transport de l'époque et le contexte politique où puissances monarchiques s'opposent parfois aux républicains français.

Ces deux blés d'Europe de l'Est très répandus dans toute la France se sont mal adaptés au Nord de la France. Sous les climats humides, ils sont sensibles à la rouille et ne supportent pas les hivers trop froids. Par contre, ils donneront de nombreux descendants par la suite qui seront cultivés dans le Nord-Pas-de-Calais : Gros Bleu, Rouge de Bordeaux, Japhet.

Une fiche descriptive pour ces blés se trouve en Annexe 5.

D/ Conclusion

Jusque la fin du XIXème siècle, avant que la sélection n'apparaisse en France, les cultures dans le Nord-Pas-de-Calais ont vu arriver en grande quantité les blés anglais, tout en gardant les variétés de pays, valeurs sûres aux défauts connus. Quelques cultures étaient attribuées aux blés aquitains mais sans grand succès puisqu'ils ne se sont pas généralisés. Dans la région, on réalise les premiers croisements avec les blés cultivés localement. Beaucoup proviennent de blé anglais, car ils sont alors synonymes de rendements. De nombreuses combinaisons sont réalisées, pour obtenir des variétés de lignées pures cumulant les qualités des blés anglais et aquitains. Ils gardent chacun une des qualités de leur parents (précocité, rendement, qualité boulangère) à laquelle s'ajoute un atout supplémentaire à savoir, la résistance à la verse, le rendement ou la résistance à certaines maladies. Les lois de la sélection génétique sont maîtrisées pour isoler les caractères d'une génération à l'autre.